Tequila et mezcal : comprendre les différences clés

La Tequila et le Mezcal sont sans doute les spiritueux mexicains les plus connus à travers le monde. Tous deux issus de la même plante emblématique, l’agave, ils sont pourtant souvent confondus ou considérés à tort comme interchangeables. Si la Tequila peut être vue comme un type spécifique de Mezcal, de nombreuses différences fondamentales existent en termes de matière première autorisée, de région de production, de méthodes de fabrication et, par conséquent, de profils aromatiques. Cet article vise à clarifier ces distinctions clés en se penchant sur l’histoire, les réglementations et les processus qui donnent à chacun de ces distillats d’agave son identité unique.

L’agave : la plante mère commune

Avant de distinguer Tequila et Mezcal, il faut comprendre leur origine commune : l’agave, appelé maguey au Mexique. Contrairement à une idée reçue, l’agave n’est pas un cactus mais une plante succulente appartenant à la famille des Asparagaceae. Le Mexique abrite une biodiversité d’agaves exceptionnelle, avec plus de 200 espèces recensées sur son territoire, dont une grande majorité est endémique.

Depuis des millénaires, l’agave joue un rôle crucial dans la vie mexicaine. Avant l’arrivée des Espagnols, sa sève fermentée donnait le pulque, une boisson laiteuse et légèrement alcoolisée d’une grande importance rituelle et nutritionnelle. Ses fibres servaient à fabriquer cordes, tissus et papier, ses épines faisaient office d’aiguilles, et certaines parties de la plante étaient consommées comme aliment. C’est le cœur de l’agave mûr, riche en sucres complexes (inuline), appelé piña (ananas, en raison de sa ressemblance après coupe des feuilles) ou cabeza (tête), qui constitue la matière première pour l’élaboration de la Tequila et du Mezcal, après avoir été cuit pour transformer ces sucres en sucres fermentescibles.

Les origines historiques : du pulque aux distillats

Si la consommation de pulque remonte à l’époque préhispanique, il n’existe pas de preuves concluantes de l’existence de techniques de distillation au Mexique avant la colonisation espagnole au 16ème siècle. Ce sont les colons qui introduisirent les alambics et le savoir-faire de la distillation, probablement d’influences européennes (alambic type arabe) et asiatiques (alambic type philippin, arrivé via les galions de Manille reliant Acapulco aux Philippines).

Les Espagnols commencèrent à distiller diverses matières premières, y compris le jus fermenté ou la pulpe cuite de l’agave, pour produire des eaux-de-vie. Ces premiers distillats d’agave étaient génériquement appelés « vino de mezcal » (vin de mezcal), le terme « mezcal » provenant du náhuatl mexcalli signifiant « agave cuit ». La production se développa dans plusieurs régions où l’agave abondait, souvent de manière artisanale et parfois clandestine, car la couronne espagnole tenta à plusieurs reprises de limiter ou d’interdire la production de spiritueux locaux pour favoriser les importations coûteuses depuis l’Espagne. C’est au fil du temps que des traditions de production spécifiques émergèrent dans certaines régions, menant à la distinction progressive entre ce qui allait devenir la Tequila et les autres Mezcals.

Tequila : l’agave bleu et la région de Jalisco

La Tequila est l’exemple le plus célèbre de « vino de mezcal » ayant acquis une identité propre et une reconnaissance internationale. Son histoire est intimement liée à la région de Tequila, dans l’État de Jalisco.

Définition et Appellation d’Origine Contrôlée (DOC)

Ce qui définit principalement la Tequila aujourd’hui, ce sont les règles strictes édictées par la Norma Oficial Mexicana (NOM) spécifique à la Tequila (actuellement NOM-006-SCFI-2012), gérée par le Consejo Regulador del Tequila (CRT). Ces règles stipulent :

  1. Zone Géographique Délimitée : La Tequila ne peut être produite que dans une zone d’appellation d’origine contrôlée (DOC) bien définie. Celle-ci couvre l’intégralité de l’État de Jalisco et quelques municipalités spécifiques dans les États voisins de Guanajuato, Michoacán, Nayarit et Tamaulipas. Toute eau-de-vie d’agave produite en dehors de cette zone ne peut légalement s’appeler Tequila.
  2. Type d’agave spécifique : La Tequila doit être élaborée exclusivement à partir d’une seule variété d’agave : l’Agave Tequilana Weber variété Azul, communément appelée agave bleu. C’est une distinction majeure par rapport au Mezcal.
  3. Minimum de sucres d’agave : Il existe deux catégories :
    • Tequila : Doit contenir au minimum 51% de sucres provenant de l’agave bleu. Les 49% restants peuvent provenir d’autres sources de sucre (souvent de la mélasse de canne à sucre ou du sirop de maïs). C’est ce qu’on appelle souvent une « Tequila Mixto ».
    • Tequila 100% Agave : Doit être élaborée uniquement à partir de sucres provenant de l’agave bleu. C’est la catégorie considérée comme de qualité supérieure, et la mention « 100% Agave » doit figurer sur l’étiquette.

Le processus de fabrication de la Tequila

La production de Tequila, bien qu’elle puisse encore suivre des méthodes traditionnelles, est aujourd’hui largement industrialisée. Les étapes clés sont :

  1. Récolte (Jima) : Les agaves bleus, qui mettent généralement 6 à 10 ans pour arriver à maturité, sont récoltés par des ouvriers spécialisés, les jimadores. Ils utilisent un outil tranchant appelé coa pour couper les longues feuilles épineuses et ne conserver que le cœur, la piña, qui peut peser plusieurs dizaines de kilos.
  2. Cuisson : C’est une étape cruciale qui différencie la Tequila du Mezcal artisanal. Les piñas sont coupées en morceaux et cuites lentement pour hydrolyser l’inuline en sucres simples (fructose). La méthode traditionnelle utilise des fours en briques (hornos) pendant 24 à 48 heures. Cependant, la méthode la plus courante aujourd’hui est l’autoclave, une sorte d’énorme cocotte-minute en acier inoxydable qui cuit les piñas à la vapeur sous pression beaucoup plus rapidement (environ 8-12 heures). Cette cuisson à la vapeur donne un profil de saveur plus doux, moins complexe et surtout non fumé par rapport à la cuisson en fosse du Mezcal.
  3. Extraction (Molienda) : Une fois cuites et refroidies, les fibres d’agave sont broyées pour en extraire le jus sucré, l’aguamiel. La méthode traditionnelle, encore utilisée par quelques producteurs pour des éditions spéciales, est la tahona, une grande roue en pierre volcanique (souvent tirée par un tracteur ou un moteur aujourd’hui, rarement par un animal) qui écrase lentement les fibres. La méthode industrielle majoritaire utilise des moulins mécaniques (roller mills) qui déchiquètent et pressent les fibres. Une méthode encore plus industrielle, le diffuseur, utilise de l’eau chaude pour extraire les sucres des fibres, parfois même sans cuisson préalable des piñas (l’hydrolyse se fait chimiquement), une méthode controversée car elle peut extraire des saveurs moins désirables et produit un profil très différent.
  4. Fermentation : L’aguamiel (parfois dilué avec de l’eau et additionné d’autres sucres pour les mixtos) est pompé dans de grandes cuves, le plus souvent en acier inoxydable, parfois en bois. La fermentation alcoolique, transformant les sucres en alcool, dure de quelques jours à une semaine. La plupart des grands producteurs utilisent des levures commerciales sélectionnées pour assurer une fermentation rapide et constante.
  5. Distillation : Le liquide fermenté (mosto muerto) est ensuite distillé pour concentrer l’alcool. La Tequila est typiquement doublement distillée dans des alambics à repasse en cuivre (pot stills). La première distillation produit un liquide appelé ordinario, et la seconde affine le spiritueux pour obtenir la Tequila, en séparant les « têtes » (composés les plus volatils, souvent âcres) et les « queues » (composés plus lourds, huileux) pour ne conserver que le « cœur » (corazón) de la distillation.

Catégories de Tequila

Après la distillation, la Tequila peut être embouteillée directement ou vieillie en fûts de chêne :

  • Blanco (Silver/Plata) : Transparente, non vieillie ou reposée moins de 2 mois en cuve inox ou fût neutre. Exprime le plus le caractère de l’agave cuit.
  • Reposado (« Reposée ») : Vieillie au minimum 2 mois et au maximum 1 an en fûts de chêne (souvent d’anciens fûts de bourbon). Prend une teinte dorée et des notes boisées/vanillées.
  • Añejo (« Vieillie ») : Vieillie au minimum 1 an et au maximum 3 ans dans des fûts de chêne de capacité maximale 600 litres. Couleur plus ambrée, saveurs plus complexes de bois, caramel, épices.
  • Extra Añejo : Vieillie au minimum 3 ans en fûts de chêne. Catégorie la plus riche et complexe, souvent comparable à de vieux whiskies ou cognacs.
  • Gold (Oro/Joven) : Généralement une Tequila Mixto à laquelle on a ajouté du colorant caramel et des arômes pour simuler un vieillissement. Parfois un assemblage de Blanco et de Reposado/Añejo.

Mezcal : diversité d’agaves et méthodes ancestrales

Le Mezcal est souvent perçu comme le « grand frère » ou l' »ancêtre » de la Tequila. Il représente une catégorie de spiritueux d’agave beaucoup plus vaste et diversifiée, souvent produite de manière plus artisanale.

Définition et Appellation d’Origine Contrôlée (DOC)

Le Mezcal possède également sa propre DOC, régulée par le Consejo Regulador del Mezcal (CRM) via la NOM-070-SCFI-2016. Les différences majeures avec la Tequila sont :

  1. Diversité d’agaves autorisés : C’est un point fondamental. Le Mezcal peut être produit à partir d’une grande variété d’espèces d’agave (plus de 30 sont potentiellement utilisables selon la NOM, bien que toutes ne soient pas courantes). L’agave Espadín (Agave Angustifolia) est de loin le plus utilisé (environ 80-90% de la production) car il pousse relativement vite (6-8 ans) et est facile à cultiver. Mais la richesse du Mezcal réside aussi dans l’utilisation d’agaves sauvages ou semi-cultivés (silvestres) qui mettent beaucoup plus de temps à mûrir (parfois 15, 20, voire 30 ans) et offrent des profils aromatiques uniques et complexes. Parmi les plus connus : Tobalá (petit agave sauvage, notes fruitées/florales), Tobaziche, Tepeztate (longue maturation, notes herbacées/terreuses intenses), Arroqueño (grand agave, notes riches/complexes), Madrecuishe, Cuishe, Cirial (souvent des saveurs végétales/minérales). On trouve aussi des assemblages de plusieurs agaves (ensambles).
  2. Zone Géographique Étendue : La DOC du Mezcal couvre 9 États : Oaxaca (qui représente environ 90% de la production certifiée), Durango, Guanajuato, Guerrero, Michoacán, Puebla, San Luis Potosí, Tamaulipas et Zacatecas. Notez que certains États sont autorisés pour les deux appellations (mais souvent dans des municipalités différentes).

Le processus de fabrication du Mezcal (souvent artisanal)

Si la Tequila s’est largement industrialisée, la production de Mezcal certifié, surtout dans les catégories « Artesanal » et « Ancestral », conserve des méthodes beaucoup plus traditionnelles, voire rustiques :

  1. Récolte : La récolte des agaves peut être plus complexe, surtout pour les variétés sauvages poussant sur des terrains difficiles d’accès. Les pratiques de récolte durable sont un enjeu important pour préserver ces espèces.
  2. Cuisson : C’est LA différence la plus marquante avec la Tequila et la source principale du profil fumé caractéristique de nombreux Mezcals. Les piñas sont cuites dans des fours coniques creusés dans la terre (palenques ou hornos de piso). Le fond est tapissé de pierres volcaniques chauffées par un grand feu de bois. Une fois les pierres brûlantes et le bois consumé, les piñas sont placées dessus, recouvertes de fibres d’agave humides, de bâches ou de feuilles de palmier, puis d’une épaisse couche de terre. La cuisson se fait à l’étouffée, lentement (généralement 3 à 5 jours), la chaleur des pierres et la fumée résiduelle imprégnant les cœurs d’agave.
  3. Extraction (Molienda) : Après cuisson, les piñas caramélisées et fumées sont découpées puis broyées. La méthode la plus traditionnelle et courante pour le mezcal artisanal est la tahona chilena, une grande roue en pierre (pouvant peser une tonne ou plus) tirée par un cheval, une mule ou un âne, qui tourne dans une fosse circulaire pour écraser les fibres. D’autres méthodes artisanales incluent le broyage manuel avec de gros maillets en bois, ou l’utilisation de déchiqueteuses mécaniques pour les productions un peu plus importantes.
  4. Fermentation : La pulpe et le jus obtenus (mosto) sont placés dans des cuves de fermentation, qui sont souvent de grands bacs en bois ouverts (pin, cyprès…), mais peuvent aussi être en pierre, en ciment, en cuir d’animal, voire en acier inoxydable pour certains. Une différence clé avec la Tequila industrielle est que la fermentation du Mezcal artisanal repose quasi exclusivement sur les levures sauvages présentes naturellement dans l’environnement (sur l’agave, dans l’air du palenque…). Cela donne des fermentations plus longues, plus complexes et plus variables, contribuant grandement à la diversité aromatique du Mezcal. Souvent, les fibres de l’agave (bagazo) sont laissées dans la cuve pendant la fermentation.
  5. Distillation : Le mosto fermentado (appelé tepache dans certaines régions) est généralement doublement distillé dans de petits alambics à repasse en cuivre. Pour la catégorie « Mezcal Ancestral », la distillation doit obligatoirement se faire dans des alambics en terre cuite (ollas de barro), une méthode très ancienne qui donne des saveurs et des textures terreuses uniques mais avec des rendements plus faibles. Il est fréquent que la distillation se fasse con bagazo, c’est-à-dire en incluant les fibres d’agave dans l’alambic, ce qui ajoute du caractère au distillat final.

Catégories de Mezcal

La NOM du Mezcal définit trois catégories principales basées sur le processus de production :

  • Mezcal : La catégorie la plus large, autorisant des méthodes plus modernes (ex: autoclaves, cuves inox, broyeurs mécaniques).
  • Mezcal Artesanal : Doit respecter des méthodes plus traditionnelles (cuisson en fosse ou four en brique, tahona ou maillets/déchiqueteuse, fermentation en bois/pierre/cuir…, distillation en alambic cuivre avec les fibres). C’est la catégorie la plus courante pour les mezcals de qualité.
  • Mezcal Ancestral : La catégorie la plus stricte, exigeant les méthodes les plus anciennes (cuisson en fosse, broyage manuel ou tahona, fermentation en bois/pierre/cuir/terre cuite avec les fibres, distillation directe sur feu en alambic en terre cuite avec les fibres).

Comme la Tequila, le Mezcal peut être classé par vieillissement (Joven/Blanco, Reposado, Añejo), mais l’accent est souvent mis sur les Mezcals Joven (jeunes/blancs), considérés comme la meilleure expression du type d’agave et du terroir, surtout pour les variétés sauvages. La mention « Abocado con… » indique une infusion (ex: gusano – le fameux « ver », pechuga – distillation avec une poitrine de poulet ou dinde et des fruits/épices).

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